Conventions et clubs: pourquoi la sécurité émotionnelle nous concerne particulièrement

Quand nous avons publié la charte d’Orc’idée, des MJs nous ont accusé de nous mêler de leur manière de gérer leur table et nous avons souvent entendu que ce n’était pas notre rôle de promouvoir certaines idées politiques. On nous a même accusés de chercher à instaurer une “police de la bien-pensance” (sic).

Or, bien que je réfute totalement l’idée qu’une charte serve à créer une “police de la pensée”, je pense sincèrement que c’est le rôle d’une convention ou d’un club de promouvoir le respect et la tolérance, de s’assurer de la sécurité émotionnelle de chacun·e , ainsi que d’offrir des conditions favorables à l’épanouissement général.

Pourquoi cela?

Premièrement, d’un point de vue purement pragmatique, une convention ou un club est responsable, si ce n’est juridiquement au moins moralement, de ce qui se déroule entre ses murs. Si vous tolérez des comportements problématiques (et j’entends par là moqueries, réflexions racistes, sexistes, etc… le tout pouvant aller jusqu’à des agressions physiques), cela peut vous nuire à long terme. Personnellement, j’y réfléchirai à deux fois avant de retourner dans un club qui ferme les yeux sur les actes déplacés d’une joueuse. De nos jours, tout se sait. Rapidement. Vous risquez donc de vous retrouver avec une sale réputation.

Deuxièmement, les clubs et les conventions sont propices à l’initiation de nouveaux joueurs. Si nous aspirons à faire du JDR un loisir ouvert à tous, il nous revient de proposer un environnement sûr dans lequel le découvrir. Or s’ouvrir au grand public nécessite forcément quelques ajustements. S’il est normal, entre vieux rôlistes, d’avoir des conversations passionnées sur les meilleurs techniques de torture, ce genre de sujet est de nature à mettre mal à l’aise ceux qui ne possèdent pas (encore) les codes du milieu. Mais évidemment, il  s’agit moins de s’interdire de parler de ce genre de sujets que d’avoir conscience de la sensibilité de ces thématiques. 

Et où initier les gens aux questions de sécurité émotionnelle et de respect, si ce n’est en convention ou dans les clubs? On trouve de nombreuses ressources sur internet, évidemment. Ce site regroupe une certaine bibliographie sur le sujet. Mais il est aussi facile de tomber sur des articles ou des témoignages dont le but est d’invalider totalement toutes initiatives portant sur les questions de sécurité émotionnelle. S’il est bénéfique de lire des articles constructifs s’opposant à certains outils, par exemple, il peut être contre-productif de lire ceux qui se basent sur des faits ostensiblement erronés. Et bien souvent, les gens ont une image faussée de ce qu’implique une pratique “sécurisée” du JDR. Je me souviens avoir eu une longue conversation sur le sujet avec une joueuse qui était fortement opposée aux outils de sécurité émotionnelle et à l’existence même des chartes. Quand je lui ai expliqué comment je pratiquais la sécurité émotionnelle en convention, en tant que joueuse, elle s’est exclamée, surprise : ” Quoi, c’est tout? C’est si simple?”1.

Finalement, en convention et en club, on joue bien souvent avec des inconnu·e·s. Il peut être difficile de signaler son malaise face des joueuses que l’on découvre tout juste. En parlant ouvertement de ces problèmes et en offrant des outils pour les résoudre, on simplifie la vie de tous, meneur comme joueuses.

Cependant, il faut aussi avoir conscience que prendre position sur ces questions peut amener quelques désagréments. Il s’agit d’un sujet hautement polémique qui déchaîne les passions. Et malgré les arguments en faveur d’une prise de position clair, il est normal de craindre les conséquences.

D’une part, instaurer des règles de comportement peut en effet conduire certaines personnes à ne plus venir. Sur ces questions, la réactance peut aussi pousser certaines joueuses à adopter des comportements totalement contraires aux valeurs que le club ou la convention soutient, simplement par volonté de manifester une opposition. Il faut s’y préparer et ce n’est pas toujours évident de gérer les différentes attaques qui peuvent être portées.

D’autre part, cela soulève d’autres questions: une charte doit-elle être prescriptive ou simplement informative? Et comment s’assurer que chacun·e respecte les valeurs mises en avant par le club ou la convention? Ces questions, c’est à chaque association d’y répondre individuellement, en fonction de ses principes, mais aussi de ses moyens.

Il faut aussi, malheureusement, se préparer à subir des critiques, parfois virulentes. La plus courante est celle de l’aspect politique de ces questions. On peut nous accuser de chercher à promouvoir un certain agenda politique, alors que le jeu de rôle se devrait d’être apolitique (sic). Je pense qu’il est possible de se soucier de sécurité émotionnelle et de respect sans en faire le porte-étendard d’une idéologie. Il me semble que le respect et la bienveillance n’ont pas d’obédience politique, en tout cas pas dans ma vision des choses. De plus, l’expérience a prouvé qu’on pouvait se rejoindre sur ces questions sans être d’accord politiquement. La charte d’Orc’idée a été rédigée par trois personnes aux opinions politiques très différentes (un élément que je répète souvent à ceux qui me disent que nous promouvons l’extrême gauche).

Sous quelle forme promouvoir la sécurité émotionnelle?

Il existe diverses méthodes et outils. À mon sens, une charte ou une simple déclaration d’intention peut suffire. Il n’est pas nécessaire de la faire signer aux meneurs, mais il faut en parler, la diffuser et l’afficher dans les locaux du club ou pendant la durée de la convention. Une charte a l’avantage d’avoir une portée symbolique forte. Et si vous ne vous sentez pas capable de rédiger un tel document, il en existe plusieurs que vous pouvez utiliser avec l’accord de leurs auteurs. De plus, une charte peut se contenter de déclarer des valeurs et des intentions, là où un règlement demande une définition stricte de ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, laissant souvent peu de place à l’interprétation. Le milieu rôliste est plutôt intolérant aux règlements, en général. Dans d’autres milieux (figurines, GNs), ils font partie du paysage depuis longtemps et (presque) plus personne ne les remet en question.

Idéalement, il faut aussi fournir des outils de sécurité émotionnelle. La X-card est le plus facile à distribuer en convention, mais dans la pratique, il faudrait être ouvert à toutes les techniques existantes. Imposer un outil en particulier est contreproductif, d’autant que de nombreux meneurs pratiquent déjà sans le savoir une certaine forme de sécurité émotionnelle (lignes et voiles, contrat social, ou encore plus simplement, être à l’écoute des joueuses). Cibler les meneurs n’est pas nécessaire, une joueuse peut aussi être l’initiatrice de la mise en place des outils. J’ai pris l’habitude, depuis quelques années, de mettre sur la table une X-card, que je sois joueuse ou meneuse. Jusqu’à maintenant, les réactions ont été majoritairement bienveillantes, au pire neutres. Confrontés à l’objet, les gens posent des questions et découvrent ainsi l’existence de cet outil et son utilisation.

Si on est assez nombreux, une campagne de sensibilisation active peut être mise en place. Discuter, présenter, proposer des ateliers ou des conférences, c’est selon les moyens et les envies de chaque club et convention. Mais il faut prendre garde à ne pas imposer la discussion et à ne pas chercher à convaincre à tout prix, sous peine de se voir accusés de “promouvoir une idéologie” et de vouloir “formater la pensée”.

Si les éléments précédents vous semblent trop contraignants (c’est votre droit), il est au moins une résolution que chaque organisateur de convention, chaque membre de club peut prendre: être disponible et à l’écoute. En effet, savoir qu’il existe quelqu’un vers qui se tourner si on se sent mal à l’aise contribue de manière significative à l’impression général de sécurité. Il ne s’agit pas là d’intervenir activement (même si, idéalement, il serait bien de le faire si on est témoin d’une situation clairement problématique), mais de signaler sa disponibilité. À Orc’idée, nous le faisons par le biais de panneaux affichés dans chaque pièce avec deux numéros de téléphone à contacter en cas de problème. En club, il peut être bon de désigner une médiatrice ou un conciliateur vers qui les joueuses peuvent se tourner en cas de problème.

Évidement, je ne présente ici que quelques éléments et je fais confiance à l’imagination de chacun pour mettre en place des solution adaptées à leur situation propre.

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